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festival de cannes - Page 23

  • La bande annonce du "Che: l'Argentin" en avant-première

    Vous l’avez peut-être remarqué : quelques changements ont eu lieu sur « In the mood for cinema » ces derniers temps avec  notamment un sommaire recentré sur l’essentiel, et surtout un nombre et une fréquence de notes qui s’intensifient notamment concernant les événements, les avant-premières avec également une nouvelle rubrique « chroniques télévisuelles ».

     Je vous annonce dès aujourd’hui que, malgré le temps radieux, les invitations pleuvant pour « In the mood for cinema » et venant de part et d’autre, le rythme des critiques s’intensifiera encore prochainement, avec de nombreux  événements et avant-premières et de belles surprises pour cette fin du mois,  que ce soit pour les chroniques télévisuelles, cinématographiques ou théâtrales…

      En attendant, pour patienter, je vous livre ci-dessous la bande annonce du « Che : l’Argentin »  de Steven Soderbergh pour lequel Benicio del Toro a eu le prix d’interprétation au dernier Festival de Cannes.  Sortie en salles en janvier 2009…

    Plus d'infos sur ce film
  • "Blindness" de Fernando Meirelles: sortie en salles du film d'ouverture du 61ème Festival de Cannes

     A l'occasion de la sortie en salles cette semaine de "Blindness" de Fernando Meirelles, le film d'ouverture du 61ème Festival de Cannes, vous pouvez retrouver ci-dessous l'article que j'avais consacré à cette ouverture sur "In the mood for Cannes" ainsi que ma critique du film.
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    Les marches vues d'en haut, photo "In the mood for Cannes" 2008
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    Le sésame pour la cérémonie d'ouverture

    Ne trouvez-vous pas que les songes et les mythes et les rêves d’enfance, parfois, paraissent plus réels que la réalité ? Dans les miens il y avait cette cérémonie d’ouverture que je regardais toujours, quoiqu’il arrive, les yeux écarquillés, avides de la moindre inflexion de ton, du moindre regard troublé, ému, désarçonné que la caméra captait, scrutait, dévorait, décuplait dans cette salle dont le souffle semblait suspendu le temps de cet étrange, solennel, mythique protocole. Ouverture de cette fenêtre elle-même ouverte sur le monde, sur un océan de possibles, de rêves, d’utopies, d’imprévus,  de découvertes et d’audaces cinématographiques, d’instants de cinéma et de vie langoureusement, dangereusement, magnifiquement entremêlés. Dans mes rêves d’enfance, l’émotion ressentie à cet instant par les 2300 privilégiés présents dans cette salle, antre du septième art, point de mire des cinéphiles et amateurs de cinéma du monde entier, devait  être indicible. J’ai alors réalisé toute la force du gros plan, de l’émotion cinématographique que la réalité ne sait pas toujours égaler mais qu’elle saisit avec parcimonie, avec plus de sincérité peut-être.

     A peine arrivée à Cannes, émergeant à peine de la réalité, le festival m’emportait dans son tourbillon frénétique et surréaliste,  je me retrouvais en pleine cérémonie d'ouverture, face à mes rêves d’enfance, après cet « étrange rituel  venu du Sud » pour paraphraser Edouard Baer. Alors que derrière mon écran j’imaginais que les cœurs devaient battre la chamade avant cet instant cinématographique historique qui ouvre 12 jours de festivités cinéphiliques (pas seulement certes) , dans la réalité la léthargie semblait s’être emparée des festivaliers tandis que la montée des marches se poursuivait diffusée sur les écrans à l’intérieur de la salle. Pourtant quand le générique du festival a égrené ses quelques mythiques notes, enfin alors cette musique a agi comme une réminiscence de mes souvenirs de ce festival, vécus réellement depuis mon premier festival il y a 8 ans, ou à travers mon regard d’enfant fasciné, intrigué, happé. A peine le temps de savourer un léger frisson d’émotion qu’Edouard Baer apparaîssait sur scène avec sa désinvolture élégante, son ironie faussement nonchalante, son humour décalé et sa gravité légère, son « heart full of love » aux accents shakespeariens. Il nous a parlé de fierté  et d’ arrogance là où elles sont d’ailleurs l’arme et la défense des festivaliers, si orgueilleusement exhibées. Puis, il nous a parlé du labyrinthe de David Lynch dans lequel j’ai d’ores et déjà envie de m’égarer et il a remercié Cannes pour avoir « kidnappé le grand fracas du monde au profit des beautés singulières ». Sans doute une des plus belles définitions de ce festival qui donne en effet un écho sans pareil aux fracas du monde et qui aspire de plus en plus à s’en faire l’écho retentissant (il suffit de voir le caractère politique, social de la majorité des palmes de ces dernières années). La palme d’or 2008 du jury présidé par Sean Penn s’inscrira-t-elle dans cette lignée ? Réponse dans 11 jours.

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    Sean Penn "à la barre", photo "In the mood for Cannes"

    Puis, Sean Penn, la voix fragilisée par l’émotion est intervenu brièvement, précisant  que lui et son jury « feraient de leur mieux », que Cannes a toujours sélectionné de grands films et surtout que cette année serait un « nouvel épisode du festival de Cannes », qu’il était là avant tout pour « transmettre des lettres d’amour à certains de ces films ». Enfin il a fait appel aux distributeurs pour qu’ils soutiennent les films qui ne recevront pas de prix. Le visage de Sean Penn était empreint de gravité et d’émotion contenue, probablement conscient que son rôle, par cet écho retentissant donné à un cinéaste, un thème, un fracas parmi tant d’autres, est davantage que cinématographique.

    Il faudra Richie Havens pour donner un très relatif air de Woodstock au festival, un air de liberté, et un air plus léger à Sean Penn. La salle esquisse quelques battements de main. L’émotion à peine éclose est interrompue par Claude Lanzmann (présence symbolique, est-ce là le symbole de ce nouvel « épisode » du Festival, reflet des fracas du monde, des fracas passés, dont ceux du présent se font les échos sinistres et cyniques ?) et son monologue interminable, ses phrases entrecoupées, les quelques sifflements de la salle et applaudissement ironiques. Alors qu’on aurait eu envie de légèreté, il a évoqué la « lourde charge de faire exister ce festival », « d’en accroître le rayonnement, évènement unique et incomparable de la planète cinéma ». Unique et incomparable, nous l’aurions presque oublié. J'ai alors regardé les visages à la dérobée. J'ai réalisé que j'étais dans cette salle avec ces 2299 autres privilégiés. J'ai réalisé que s’ouvrait cette parenthèse enchanteresse, parfois désenchantée. J'ai réalisé que j'étais à Cannes. J'ai réalisé que si le cinéma ou l’écran sublimaient la réalité, ils n’ont jamais eu autant d’imagination, parfois cruelle mais aussi parfois sublime, que cette dernière. J'ai réalisé que je n’avais pas envie de choisir entre le rêve et la réalité. Cela tombe bien, Cannes est l’endroit idéal pour feindre l’aveuglement, pour feindre de se perdre dans cette douce (pas toujours) illusion.

    Et cela tombe bien de nouveau car c’est également d’aveuglement (au sens propre comme au sens figuré), de cécité dont aspirait à nous parler le film d’ouverture également en compétition officielle « Blindness » de Fermando Meirelles. (« La Cité de Dien », « The Constant Gardener »).

    2144627589.jpgPitch : Le pays est frappé par une épidémie de cécité qui se propage à une vitesse fulgurante. Les premiers contaminés sont mis en quarantaine dans un hôpital désaffecté où ils sont rapidement livrés à eux-mêmes, privés de tout repère. Ils devront faire face au besoin primitif de chacun : la volonté de survivre à n’importe quel prix. Seule une femme (Julianne Moore) n’a pas été touchée par la « blancheur lumineuse ». Elle va les guider pour échapper aux instincts les plus vils et leur faire reprendre espoir en la condition humaine.

    L’impression qui domine à l’issue de ce film est l’agacement. L’agacement devant un film qui semble là seulement pour justifier la phrase et la morale simplistes  qui le sous-tendent, (en résumé : les voyants sont aveugles à la beauté du monde, à leur « bonheur »,  et l’aveuglement leur rend la vue, et en annihilant les différences visuelles, abat les préjugés …) d’ailleurs annoncées dès les premières minutes. Annoncé d’emblée le discours en perd toute sa force. Une nouvelle société carcérale s’instaure (soulignée lourdement à force de plans de visages derrière des grillages) où la dignité est piétinée pour survivre. Malgré l’ignominie de ce que ses protagonistes vivent le cinéaste a néanmoins eu recours au hors-champ, au fondu au blanc( !) pour épargner notre regard ou peut-être créer une empathie avec l’aveuglement dans lequel sont plongés les personnages, ce qui au lieu de nous immerger dans leur intériorité, crée une nouvelle distanciation ( déjà initiée par la multiplicité des personnages et leur manque de caractérisation).  Une voix off grandiloquente qui semble sortie d’un blockbuster contre lequel semble pourtant vouloir s’inscrire le cinéaste, surligne grossièrement le propos et apporte un classicisme qui détone avec le parti-pris (finalement faussement) moderne et radical du film. Les personnages n’existent pas (avant même d’être déshumanisés il aurait été bien qu’ils soient déjà humanisés) si bien que nous n’adhérons pas à leur déshumanisation, à leur passage à l’animalité  et encore moins à leur retour à la vie, à la condition humaine, au regard potentiellement rempli de préjugés que l’aveuglement était censé leur avoir ôté. Un hymne à la différence finalement aveugle à celle-ci. Un film  redondant, didactique, qui sous-estime l’intelligence du spectateur, qui s’égare et nous égare par la prétention de son discours dont il n’arrive pas à la hauteur, aveuglé par celui-ci.  Meirelles se prend pour Ionesco sans avoir le talent à l’échelle immense de la gravité du propos mais « Blindness » n’est pas « Rhinocéros », évidemment pas. Relisez plutôt ce dernier.

    La salle a froidement accueilli le film dont je serais très surprise qu’il figure au palmarès…même s’il pourrait s’inscrire dans la lignée de certains « Grand Prix » pour la radicalité du propos. Est-ce là la marque de ce « nouvel épisode »  du Festival de Cannes qu’a évoqué Sean Penn et que souligne peut-être la présence de Claude Lanzmann? A suivre au prochain épisode sur « In the mood for Cannes ».

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    Photo du Jury (ci-dessus) par "In the mood for Cannes"
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    Vous pouvez revoir la cérémonie d'ouverture sur l'excellent site de Canal plus consacré à ce 61ème Festival: cliquez ici
    Sandra.M
    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2008 Pin it! 0 commentaire
  • « La frontière de l’aube » de Philippe Garrel : conte poétique et désenchanté

    Dussé-je être la seule et la dernière, je vous recommande sans réserves le film de Philippe Garrel « La frontière de l’aube » (qui sort demain en salles) malgré l’ostracisme dont il a été l’objet lors du dernier Festival de  Cannes où il était en compétition. Ci-dessous, retrouvez mon récit de la projection cannoise et ma critique du film.

    En bonus vous pouvez voir la vidéo de l’équipe du film sur les marches à Cannes, en cliquant ici.

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    Ci-dessus, l'équipe de "La frontière de l'aube" de Philippe Garrel.
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    Ci-dessus: Louis Garrel et Laura Smet dans "La frontière de l'aube"

     Voilà ce qui, de l’avis général, faisait défaut  au Festival de Cannes cette année : une controverse et de l’effervescence. Pour le second élément il est vrai qu’il était difficile de rivaliser avec l’exemplaire 60ème anniversaire. Pour le premier, encore que le terme soit un peu fort, il y a eu « La Frontière de l’aube » de Philippe Garrel.

    Il a en effet été hué lors de ses projections au « Grand Théâtre Lumière » et méprisé lors de la séance du lendemain dans la salle du 60ème pour la première fois à moitié vide ! Quelle curiosité exemplaire des festivaliers se fiant davantage à la rumeur qu’à leur propre opinion, condamnant avant d’avoir entendu l'argumentaire de l'accusé. C’est donc particulièrement intriguée que je suis allée voir ce film, deuxième film français de la compétition, curieuse de découvrir quelle ignominie pouvait susciter un tel rejet du public, un tel lynchage médiatique.

    Synopsis : Une star (Laura Smet) vit seule chez elle, son mari est à Hollywood et la délaisse. Débarque chez elle un photographe (Louis Garrel) qui doit la prendre en photo pour un journal, faire un reportage sur elle. Ils deviennent amants. Ils vont habiter deux semaines à l’hôtel pour faire ce reportage et repassent de temps en temps à l’appartement de la star.

    Nous sommes d’abord chaleureusement envoûtés par le noir et blanc, par le charme savoureusement désuet et intemporel de la photographie qui magnifie les visages (la fièvre contenue et ravageuse et le désarroi de Laura Smet, le romantisme mélancolique de Louis Garrel), ausculte leurs basculements, leurs tourments, leurs fragilités. Un noir et blanc en hommage à Cocteau et à la Nouvelle Vague à laquelle Philippe Garrel empreinte un style elliptique et un ton décalé qui nous embarque dans son au-delà surréaliste et contribue à cette intemporalité. Les amants ne s’envoient pas de textos ou d’emails mais des lettres. Amants d’aujourd’hui, d’hier, de demain : éternels. 

    Ce qui m’a charmée dans ce film qui a le mérite de ne ressembler à aucun autre de la compétition (et il faut l’avouer, la plupart des films brassent les mêmes thèmes, dans un style relativement similaire ) est probablement ce qui a agacé la majorité des festivaliers : son aspect littéraire (mais alors pourquoi glorifier Desplechin qui emploie , certes différemment, le même procédé ?), sa lenteur qui donne le temps au temps, le temps de s’imprégner de la mélancolie des personnages, son romantisme sans concessions, son aspect surréaliste et sa façon de saisir et juxtaposer des instants.

     « La frontière de l’aube » est vaguement inspiré d’une nouvelle de Théophile Gautier « Spirit » : un mythe romantique dans lequel les protagonistes se rejoignent dans la mort pour vivre dans l’éternité. Avec une poésie désenchantée, entre rêve et réalité, éternité et intemporalité, bonheur bourgeois et bonheur éternel, Philippe Garrel, réfutant tout cynisme, nous redonne le goût de ce que le cinéma d’aujourd’hui s’acharne à nier, par un excès de réalisme et de réalité,: celui de croire en des amours éternels dont la littérature s’arroge désormais l’exclusivité, et encore.

    Un film aux frontières de la réalité, de la folie, de la mort sur la passion dévastatrice. L’aube : une heure incertaine, velléitaire mais qui de toute façon donnera naissance au jour, à l’espoir tout comme cet amour fatal est porteur d’une beauté à la fois sombre et lumineuse .

    Philippe Garrel a également le mérite d’assumer : son titre nous plonge d'emblée dans son univers revendiqué, celui d’un conte poétique. Les contes de noël sont semble-t-il plus nobles, plus flatteurs pour ceux qui les apprécient. Oui, Desplechin flatte finalement le spectateur, par des références multiples et redondantes, lui donnant le sentiment (réel ou illusoire) de son intelligence, et lui donnant par sa dérision le sentiment, éloge semble-t-il suprême, de sa bonne cyniquitude (j'ai le droit d'utiliser des néologismes:-)), de son insensibilité à un romantisme forcément mièvre, dépassé, ridicule. Philippe Garrel nous prouve pourtant le contraire avec ce film intemporel.

    Un film sombre à la poésie lumineuse et enchanterresse qui mériterait de figurer au palmarès.

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  • "Entre les murs" représentera la France à la course aux Oscars 2009 pour la place de meilleur film étranger...

    Entre les mursbis.jpgNous venons de l'apprendre: "Entre les murs" représentera la France à la course aux Oscars 2009!  Il a été préféré à notamment "Faubourg 36" et "Un conte de Noël" par le comité de sélection français entre autres composé de Jean-Jacques Annaud, Jeanne Moreau, Thierry Frémaux. Un film radicalement différent de "La Môme" pour lequel Marion Cotillard avait été récompensée l'an passé. Espérons que la France sera de nouveau, et d'autant plus, à l'honneur en 2009. Nous saurons en janvier 2009 si "Entre les murs" est nommé comme meilleur film étranger. En attendant rendez-vous le 24 dans les salles pour le découvrir.

    Le film de Laurent Cantet lauréat de la palme d'or 2008, sortira en effet en salles en France mercredi prochain, je vous le recommande vivement. Pour avoir lu le roman récemment, je réalise d'autant plus le travail accompli (des parties entières se retrouvent telles quelles dans le roman) et d'autant plus admirable qu'à l'écran tout semble naturel, filmé sur le réel.

     Ci-dessous mon article publié sur "In the mood for Cannes" à la suite de la mémorable projection cannoise du film, ainsi que mes vidéos de la fin de la projection au Grand Théâtre Lumière.

    1326519226.jpgHier avait lieu la projection du dernier film français en compétition, après « Un Conte de noël » d’Arnaud Desplechin et « La Frontière de l’aube » de Philippe Garrel : « Entre les murs » adapté du roman éponyme de François Bégaudeau qui y interprète ou plutôt recrée son propre rôle.

    Synopsis : François est un jeune professeur de français d’une classe de 4ème dans un collège difficile. Il n’hésite pas à affronter ses élèves dans de stimulantes joutes verbales. Mais l’apprentissage de la démocratie peut parfois comporter de vrais risques...

    Rarement une projection de cette édition 2008 aura suscité autant d’enthousiasme, se manifestant notamment par 6 minutes d’applaudissements à la fin de la projection mais aussi par des rires et des applaudissements ayant ponctué celle-ci.

    Entre documentaire et fiction « Entre les murs » s’inscrit pourtant dans la lignée des films présentés cette année, du moins de par son sujet très réaliste, un film dont il est amusant de constater que son titre cette fois encore évoque l’idée d’enfermement, leitmotiv des films de cette édition 2008, mais aussi par sa forme très proche du documentaire (proche également du faux documentaire comme « Je veux voir » dont je vous ai déjà parlé il y a quelques jours).

     Comme son titre l’indique, Laurent Cantet ne fait jamais sortir ses personnages de l’enceinte de l’établissement mais ce qui s’y déroule est là encore un miroir du monde, une fenêtre ouverte sur ses « fracas » : l’exclusion culturelle et sociale notamment, les expulsions d’étrangers...

    Les joutes verbales palpitantes et si révélatrices entre les élèves et le professeur nous rappellent « L’esquive » d’Abdellatif Kechiche, le langage étant également ici  un des acteurs principaux : révélateur des tensions, incompréhensions de la classe, entre le professeur et ses élèves mais aussi du monde qu'elle incarne.

     Le professeur n’est jamais condescendant ni complaisant avec ses élèves, les échanges qu’il a avec eux sont à la fois graves et drôles, tendres et féroces.

     Laurent Cantet filme au plus près des visages tantôt le professeur tantôt les élèves qui parlent mais aussi ceux qui rêvassent, s'évadent des murs, jouent avec leurs portables... nous immergeant complètement dans la vie de cette classe dont la résonance va bien au-delà.

    Laurent Cantet ne « victimise » ni les élèves ni les professeurs, il filme simplement deux réalités qui s’affrontent verbalement et qui dépassent parfois ceux qui la vivent.

    Le tournage a été précédé d’une année d’ateliers d’improvisations et les « acteurs » sont de vrais élèves, parents d’élèves, professeurs, administratifs de l’école : le résultat est bluffant de réalisme. Filmant avec discrétion, sans esbroufe, mais toujours au service de ses protagonistes, Laurent Cantet nous dresse à la fois un portrait subtile du monde d’aujourd’hui mais aussi celui d’un professeur avec ses doutes, ses découragements, qui met les adolescents face à leur propre limites, se retrouvant parfois face aux siennes, n’excluant pas le dérapage dont le langage est une nouvelle fois le témoignage.

     La tension et notre attention ne se relâchent jamais. En filmant un microcosme qui se révèle être une formidable caisse de résonance du mur qui se dresse entre le professeur et ses élèves, qui s’abat parfois le temps d’un inestimable instant, mais aussi de tout ce qui se déroule derrière les murs et que la caméra insinue avec beaucoup de subtilité, Laurent Cantet a signé un film fort sur la fragilité du monde d’aujourd’hui et sur ses fragilités dont l’école est le témoignage et le réceptacle. S'il nous montre qu'élèves et professeurs ne parlent bien souvent pas le même langage, il les humanise et filme leurs fragilités, leurs dérapages avec autant d'empathie qu'ils soient élèves ou professeurs, ce qui les humanise encore davantage.

     Dire que François Bégaudeau interprète son propre rôle avec beaucoup de talent pourrait paraître ironique et pourtant il est probablement difficile de recréer sa propre réalité en lui donnant un tel sentiment de véracité.

    Des murs entre lesquels le spectateur ne se sent jamais à l’étroit, toujours impliqué, conquis par ce film passionnant, qui traduit l'universel à travers l'intime. Un grand prix ou un prix du jury en perspective ? En tout cas une des palmes d’or des festivaliers !

    Ci-dessous les réactions du public à l'issue de la projection de 16H dans le Grand Théâtre Lumière en présence de l'équipe du film.

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    Sandra.M

  • Le film incontournable de la semaine: "Le silence de Lorna" de Luc et Jean-Pierre Dardenne

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    "Le silence de Lorna" figurait parmi les films en compétition du 61ème Festival de Cannes où il a obtenu le prix du scénario. Retrouvez ma critique du film écrite lors du dernier Festival de Cannes (critique comparative avec "Two lovers" de James Gray vu le même jour, également en compétition, et qui sortira en salles en France le 5 novembre 2008), ci-dessous:
    A priori rien de commun entre ce film américain de James Gray (qui avait déjà présenté « The Yards » il y a 8 ans, et « La nuit nous appartient », son polar familial, sombrement poétique, en compétition officielle l’an passé et revenu bredouille, voir ma critique ici : http://inthemoodforcannes.hautetfort.com/archive/2008/02/... )    et ce film belge des frères Dardenne, déjà deux fois lauréats de la palme d’or (« Rosetta » en 1999 et « L’enfant » en 2005). Jugez plutôt à la lecture de ces deux pitchs :
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    L'équipe de "Two lovers" de James Gray en haut des marches.

    « Two lovers » : New York. Un homme hésite entre suivre son destin et épouser la femme que ses parents ont choisie pour lui, ou se rebeller et écouter ses sentiments pour sa nouvelle voisine, belle et volage, dont il est tombé éperdument amoureux.

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    L'équipe du "Silence de Lorna" sur les marches

    « Le silence de Lorna » : Pour devenir propriétaire d’un snack avec son amoureux Sokol, Lorna, jeune femme albanaise vivant en Belgique, est devenue la complice de la machination de Fabio, un homme du milieu. Fabio lui a organisé un faux mariage avec Claudy pour qu’elle obtienne la nationalité belge et épouse ensuite un mafieux russe prêt à payer beaucoup pour devenir belge. Pour que ce deuxième mariage se fasse rapidement, Fabio a prévu de tuer Claudy. Lorna gardera-t-elle le silence?

    Rien de commun et pourtant, et pourtant dans les deux cas, même si le contexte social et politique est différent (voir inexistant dans le premier cas) il s’agit de raison et de sentiments, d’être forts et fragiles. A priori rien de commun entre Lièges et New York et pourtant dans les deux cas on éprouve le même poids du silence. Et surtout dans les deux cas un amour dévastateur et irrépressible même si le sujet est explicite dans « Two lovers » et beaucoup plus implicite dans « Le silence de Lorna » où il s’agit surtout de montrer  les dangers que doivent affronter  les immigrés pour simplement vivre, trouver la voie du bonheur. Dans les deux cas, les protagonistes tombent amoureux de celui ou celle qu’ils ne devraient pas aimer. La comparaison s’arrête là.

     Le style réaliste  du « Silence de Lorna » (même si la caméra à l’épaule a été un peu abandonnée pour se fixer sur Lorna et la suivre, posément, à l’image de son sang froid et son inébranlable détermination) reste à l’opposé du style très classique de James Gray. L’intérêt du film de ce dernier provient davantage des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses, que du scénario très prévisible ou de la réalisation qui l’épouse…et pourtant, même si James Gray est plus doué pour le polar, il règne ici une tension palpable liée au désir qui s’empare du personnage principal magistralement interprété par Joaquin Phoenix avec son regard mélancolique, fiévreux, enfiévré de passion, ses gestes maladroits, son corps même qui semble  crouler sous le poids de son existence, sa gaucherie adolescente : un sérieux prétendant au prix d’interprétation !

    Ce dernier interprète le personnage attachant et vulnérable de Leonard Kraditor (à travers le regard duquel nous suivons l’histoire : il ne quitte jamais l’écran), un homme, atteint d'un trouble bipolaire (mais ce n'est pas là le sujet du film, juste là pour témoigner de sa fragilité) qui, après une traumatisante déception sentimentale, revient vivre dans sa famille et fait la rencontre de deux femmes : Michelle, sa nouvelle voisine incarnée par Gwyneth Paltrow, et Sandra, la fille d’amis de ses parents campée par l’actrice Vinessa Shaw. Entre ces deux femmes, le cœur de Leonard va balancer…

    Un amour obsessionnel, irrationnel, passionnel pour Michelle. Ces « Two lovers » comme le titre nous l’annonce et le revendique d’emblée ausculte  la complexité du sentiment amoureux, la difficulté d’aimer et de l’être en retour, mais il ausculte aussi les fragilités de trois êtres qui s’accrochent les uns aux autres, comme des enfants égarés dans un monde d’adultes qui n’acceptent pas les écorchés vifs. Michelle et Leonard ont, parfois, « l’impression d’être morts », de vivre sans se sentir exister, de ne pas trouver « la mélodie du bonheur ».

    Par des gestes, des regards, des paroles esquissés ou éludés, James Gray  dépeint de manière subtile la maladresse touchante d’un amour vain mais surtout la cruauté cinglante de l’amour sans retour qui emprisonne (encore un plan derrière des barreaux, en l’occurrence de Gwyneth Paltrow, décidément le cinéma et ceux qu’il dépeint a cette année soif de liberté et d’évasion, décidément le monde n’a jamais été aussi ouvert et carcéral), exalte et détruit.

    James Gray a délibérément choisi une réalisation élégamment discrète et maîtrisée et un scénario pudiques (ou lisses, c’est selon). Même si le dénouement est relativement prévisible, le regard de Joaquin Phoenix est suffisamment intense pour ne pas nous lâcher jusqu’à la dernière seconde, nous y émouvoir même, malgré tout.  James Gray n’a pas non plus délaissé son sujet fétiche, à savoir la famille qui symbolise la force et la fragilité de chacun des personnages (Leonard cherche à s’émanciper, Michelle est victime de la folie de son père).

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    Ci-dessus, image de "Two lovers" de James Gray

    Un film d’une tendre cruauté.

    Quant aux frères Dardenne, encore une fois ils s’imposent comme des directeurs d’acteurs exceptionnels (un prix d’interprétation de nouveau à la clef, cette fois pour Arta Dobroshi ?  Ce n’est pas si improbable…) et, forts de leur expérience du documentaire, recréent une réalité si forte et crédible avec des êtres blessés par la vie dont les souffrances se heurtent, se rencontrent, s’aimantent.

    Réaliste, humaniste, social sans être revendicatif mais au contraire nous plongeant dans l’intimité des personnages, ce « Silence de Lorna » est plus parlant que n’importe quel discours politique. Même si ce 6ème long-métrage des deux frères n’a pas la force de « Rosetta » et « L’enfant », il dépeint magnifiquement une douloureuse histoire d’amour entre des être au bord du gouffre, sur le fil, une histoire d’amour qui ne dit pas et ne peut dire son nom et qui n’en est que plus poignante. (cette définition pourrait d’ailleurs aussi s’appliquer aux personnages du film de James Gray).

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    Image du "Silence de Lorna" des frères Dardenne

     Les Dardenne restent les meilleurs cinéastes de l’instant, à la fois de l’intime et de l’universel dans lequel tout peut basculer en une précieuse et douloureuse seconde : un thriller intime. Ce qualificatif pourrait d’ailleurs aussi s’appliquer à « Two lovers ». Deux films d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments qui s’emparent des personnages principaux, et de l’émotion qui s’empare du spectateur (de moi en tout cas). Irrépressiblement. Magnifiquement.

  • 6ème édition du Festival Paris Cinéma: la sélection d'In the mood for cinema

    affiche paris cinema.jpgComme chaque année, alors que se profilent les vacances, les choix cinématographiques se raréfient, et à l'exception de "Valse avec Bashir" de Ari Folman, je n'ai pas d'autres films  actuellement  à l'affiche à vous recommander (à l'exception de ceux figurant dans la rubrique à gauche du blog "Films de la semaine à ne pas manquer" et qui, exceptionnellement, seraient encore à l'affiche dans certaines salles) c'est pourquoi cette semaine je vous propose un choix de films projetés dans le cadre du Festival Paris Cinéma.

    Le Festival Paris Cinéma qui a lieu du 1er au 12 juillet et fête cette année sa sixième édition pour 5€ la séance ou 25€ le ciné pass propose un large choix de projections et évènements: une sélection internationale avec une compétition de longs et courts-métrages et des avant-premières, des invités d'honneur (cette année Nathalie Baye, David Cronenberg, Aki Kaurismäki, Jospeh Kuo, Runit Elkabetz, Jean-Claude Carrière), un pays à l'honneur (cette année les Philippines), des évènements comme des ciné-concerts et des projections en plein air, des ateliers et rendez-vous professionnels... 

     Si je pense toujours qu'un vrai festival de cinéma fait défaut à Paris, que ce festival manque d'unicité, il n'en demeure pas moins que dans cette programmation figurent de nombreux films intéressants. Je vous en propose ci-dessous une sélection subjective en commençant par les films que j'ai découverts lors du Festival de Cannes 2008 et que Paris Cinéma projette en avant-première:

    FILMS DU FESTIVAL DE CANNES 2008 PROJETES EN AVANT-PREMIERE A PARIS CINEMA ET RECOMMANDES PAR "IN THE MOOD FOR CINEMA":

    1/Le film que je vous recommande en priorité est mon coup de coeur du Festival de Cannes 2008 intitulé "JE VEUX VOIR" de JOANA HADJITHOMAS et KHALIL JOREIGE. (Ci-dessous retrouvez mon article publié sur "In the mood for Cannes" à la suite de la projection cannoise du film, vous pouvez également retrouver mes vidéos de la présentation du film à Cannes en cliquant ici)

    Projection à  Paris Cinéma le 8 juillet à 21H30 au MK2 Bibliothèque, présentation par les deux réalisateurs et Catherine Deneuve annoncée

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    Photos "In the mood for Cannes": L'équipe du film "Je veux voir".
    Alors que dehors des rafales de vent et des pluies torrentielles s’abattent sur la Croisette, je profite de ces quelques minutes de calme pour écrire : un  silence, une pause dans la frénésie cannoise  presque déstabilisante me faisant réaliser que cette vie irréelle ne dure que l’espace
    de 12 jours et s’achèvera dans ce qui me semble être une délicieuse éternité, que la réalité peut reprendre ses droits, qu’elle le fera. Quelques minutes pour faire un flash-back sur toutes ces images de vie et de cinéma contrastées, fortes dans les deux cas,  lumineuses (dans le premier cas) et sombres (dans le second), oniriques (dans le premier cas) et cauchemardesques (dans le second). Entre apesanteur réelle et pesanteur fictive, écartelée entre des émotions que même la tempête ne balaiera pas, tout juste se fera-t-elle l’écho de leur puissance, de leur violence presque fascinante. Quelques minutes donc pour évoquer la projection de cet après-midi dans la section Un Certain Regard : « Je veux voir » réalisé par Joana Hadjithomas et Khalil Joreige dans lequel « joue » Catherine Deneuve.
    Pitch par l’équipe du film : « Juillet 2006. Une guerre éclate au Liban. Une nouvelle guerre mais pas une de plus, une guerre qui vient briser les espoirs de paix et l'élan de notre génération.  Nous ne savons plus quoi écrire, quelles histoires raconter, quelles images montrer. Nous nous demandons : " Que peut le cinéma ? ". Cette question, nous décidons de la poser vraiment. Nous partons à Beyrouth avec une " icône ", une comédienne qui représente pour nous le cinéma, Catherine Deneuve. Elle va rencontrer notre acteur fétiche, Rabih Mroué.  Ensemble, ils parcourent les régions touchées par le conflit. A travers leurs présences, leur rencontre, nous espérons retrouver une beauté que nos yeux ne parviennent plus à voir.  Une aventure imprévisible, inattendue commence alors…. ».

    Lors de la présentation du film au public, Khalil Joreige a déclaré : "Nous sommes très émus de présenter ce film aujourd’hui. Nous remercions Thierry Frémaux et l’équipe du Festival. Pour nous, ce film est une vraie aventure cinématographique qui, vous le verrez, devient de plus en plus intense et surprenante. Nous tenons à remercier Catherine Deneuve pour sa générosité et son audace, pour nous avoir permis de faire ce film." Et Joana Hadjithomas de conclure : "Je dédie cette projection à ceux qui auraient voulu être avec nous : notre équipe, nos familles, nos amis qui n’ont pas pu faire le voyage à cause des derniers événements."

    C’est donc de nouveau en miroir du monde pour reprendre les termes de Steve Mc Queen, le réalisateur de « Hunger » dont je vous parlais avant-hier que se positionne ce film. Un miroir dans lequel se reflètent et s’influencent intelligemment sa beauté et sa laideur, sa vérité et sa mythologie, sa réalité et sa fiction. « Je veux voir » est en effet un film inclassable qui mélange intelligemment fiction et documentaire, un mélange duquel résulte alors une impression troublante qui ne nuit pas au propos mais au contraire le renforce, paradoxalement le crédibilise. Un Certain Regard. Le nom de cette sélection était parfaitement choisi pour accueillir ce film. De regards il y est en effet beaucoup question.  Celui magnétique, troublé, inquiet, empathique, curieux de Catherine Deneuve. Un regard certain, en apparence en tout cas. C’est donc son regard ( elle est tantôt filmée de face, tantôt en caméra subjective) qui guide le nôtre. Le film commence ainsi : Catherine Deneuve est filmée de dos, à la fenêtre, à Beyrouth qu’elle regarde et surplombe. De dos avec cette silhouette tellement reconnaissable, celle de l’icône qu’elle représente pour les cinéastes qui l’ont choisie. Elle dit alors qu’elle veut voir. Elle veut voir les traces de la guerre. Elle veut voir ce qui ne lui paraît pas réel à travers l’écran de télévision (décidément, les films se répondent, troublant écho à celui d’hier).

    Cette rencontre ensuite avec Rabih Mroué qui sera son guide et chauffeur sonne tellement juste, semble tellement éclore sous nos yeux que nous sommes presque gênés d’être là et en même temps captivés. Catherine Deneuve, son personnage, qu’importe, demande si elle peut fumer autant par politesse que pour amorcer une conversation, une complicité, puis elle s’interroge sur le fait que Rabih ne mette pas de ceinture. Il lui explique que depuis la guerre les principes ont un peu volé en éclats. Elle précise qu’elle n’est pas pour l’ordre mais que c’est quand même dangereux. Son visage ne trahit presque aucune émotion et n’en est justement que plus émouvant, de même lorsqu’elle demande pour la deuxième fois si elle peut fumer et reparle de la ceinture de sécurité après un évènement dangereux. Comme si ces propos trahissaient sa peur et la rassuraient, leur réitération les rendant tragiquement drôles. Son ton posé contraste avec l’inquiétude que trahit ses paroles.

    Peu à peu ils s’éloignent de Beyrouth, on leur interdit de filmer, ou le scénario prévoyait qu’on fasse croire qu’on leur interdisait de filmer. Le résultat est le même. Nous ne savons pas. Que ce soit fictif ou réel l’essentiel est que cela soit tellement évocateur. Un avion passe et émet un puissant fracas, comme une bombe que l’on lâcherait. Catherine Deneuve sursaute et pour la première fois ou presque son corps trahit sa peur. Le chauffeur lui explique que l’avion  israélien a passé le mur du son, que le but est juste de faire peur. Rare évocation de la situation politique. Le film est là pour nous permettre de voir, pas pour nous prendre à parti ou expliquer. Juste voir la désolation après et à travers la beauté. Juste pour voir ce contraste violent et magnifique.

    Que ce soit Catherine Deneuve ou son personnage qui sursaute en entendant cet avion, peu importe, la peur se transmet, traverse l’écran, nous atteint, comme le sentiment de désolation de ces carcasses d’acier et de ferrailles que des pelleteuses charrient longuement, symboles de tant de vies et de passés volés en éclat, abattus, piétinés, niés.

    La relation semble se nouer entre les deux personnages ( ?) sous nos yeux , entre les deux êtres ( ?) peut-être, une relation faîte de pudeur, d’intensité créée par la peur, la force de cette rencontre, son caractère unique et son cadre atypique (la scène où il lui dit les dialogues de « Belle de jour » en Arabe, où il en oublie d’être attentif et se retrouve dans un endroit miné est à la fois effrayante et sublime, poétique et terriblement réaliste, l’instant poétique, cinématographique qu’ils vivent renforçant la peur créée par la soudaineté du surgissement d’une terrible réalité, potentiellement fatale). Une relation entre deux réalités, le cinéma et la réalité. Une belle rencontre en tout cas. Comme deux personnages de cinéma. Si réels (nous croyons vraiment à leur relation) et si cinématographique (ils forment sous nos yeux un couple qui pourrait être tellement cinématographique).

     La fin (Catherine Deneuve se rend à une réception en son honneur après cette journée que l’on devine si intense et éprouvante) pourrait être le début d’une fiction, une des plus belles fins qu’il m’ait été donné de voir au cinéma, qui prouve la force d’un regard, un regard décontenancé, un regard ébloui par les lumières d’une fête tellement décalées après celles de la journée, un regard qui cherche la complicité de celui devenu un ami, un regard qui cherche la réalité de ce qu’il a vécu ou ressenti dans celui d’un autre, un regard qui nous embarque dans son tourbillon d’émotions et d’intensité, tandis qu’un officiel obséquieux (non?) évoque « la formidable capacité de résilience des Libanais » comme il évoquerait la pluie et le beau temps. Le regard alors tellement passionné de Catherine Deneuve contraste avec la banalité du discours de ce dernier. Oui, un certain regard. Tellement troublé et troublant et expressif lorsqu’il croise le regard attendu qu’il ouvre une infinitude de possibles, qu’il ouvre sur le rêve, qu’il ouvre sur la puissance du cinéma, des images, d’une rencontre, qu’il ouvre sur un nouvel espoir. "Toute la beauté du monde". Malgré tout.

     La présence presque "improbable" et "onirique" de Catherine Deneuve comme l’ont définie les réalisateurs est à la fois un écho à la beauté du sud et un contraste saisissant avec le spectacle de désolation des paysages en ruine, des vies dévastées.  Elle y apparaît en tout cas magnifique de dignité et de courage. Oui, une belle leçon de dignité et de courage mais aussi de cinéma et d’espoir…

    Un film qui est dramatiquement (encore une fois) d’actualité alors que le Liban vit de nouveau une situation explosive, qui montre ce que l’on regarde parfois sans voir.

    Le mélange si habile de fiction et de documentaire, de mémoire historique et de mythologie cinématographique,  en fait un film, un témoignage aussi, inclassable, captivant, troublant,  jamais didactique, un film que l’on veut voir, et que l’on voudrait revoir, juste pour ce dernier regard échangé…

    Et puis en sortant, je me suis retrouvée à l’extérieur de la salle en même temps que Catherine Deneuve. Moi qui ne le fais jamais (autrement que  lorsque les équipes de films sont sur une scène ou dans une salle de cinéma), j’ai pris une photo. Juste pour immortaliser cet instant. Retenir ce regard. Celui du film ou de la réalité, ou des deux subtilement liés, d’un moment intense en tout cas…

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    Catherine Deneuve à la sortie de la projection de "Je veux voir". Photo "In the mood for Cannes"

    2/Je vous recommande ensuite "LES FRONTIERES DE L'AUBE", le conte poétique et désenchanté de PHILIPPE GARREL qui a suscité les huées d'une très large majorité des spectateurs cannois...et mon enthousiasme débordant (ci-dessous mon article extrait de mon blog "In the mood for Cannes", cliquez ici pour voir mes vidéos de la présentation du film)

    Projection à Paris Cinéma: le 5 juillet à 19H15 au MK2 Bibliothèque

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    Ci-dessus, l'équipe de "La frontière de l'aube" de Philippe Garrel.
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    Ci-dessus: Louis Garrel et Laura Smet dans "La frontière de l'aube"

     Voilà ce qui, de l’avis général, faisait défaut  au Festival de Cannes cette année : une controverse et de l’effervescence. Pour le second élément il est vrai qu’il était difficile de rivaliser avec l’exemplaire 60ème anniversaire. Pour le premier, encore que le terme soit un peu fort, il y a eu « La Frontière de l’aube » de Philippe Garrel.

    Il a en effet été hué lors de ses projections au « Grand Théâtre Lumière » et méprisé lors de la séance du lendemain dans la salle du 60ème pour la première fois à moitié vide ! Quelle curiosité exemplaire des festivaliers se fiant davantage à la rumeur qu’à leur propre opinion, condamnant avant d’avoir entendu l'argumentaire de l'accusé. C’est donc particulièrement intriguée que je suis allée voir ce film, deuxième film français de la compétition, curieuse de découvrir quelle ignominie pouvait susciter un tel rejet du public, un tel lynchage médiatique.

    Synopsis : Une star (Laura Smet) vit seule chez elle, son mari est à Hollywood et la délaisse. Débarque chez elle un photographe (Louis Garrel) qui doit la prendre en photo pour un journal, faire un reportage sur elle. Ils deviennent amants. Ils vont habiter deux semaines à l’hôtel pour faire ce reportage et repassent de temps en temps à l’appartement de la star.

    Nous sommes d’abord chaleureusement envoûtés par le noir et blanc, par le charme savoureusement désuet et intemporel de la photographie qui magnifie les visages (la fièvre contenue et ravageuse et le désarroi de Laura Smet, le romantisme mélancolique de Louis Garrel), ausculte leurs basculements, leurs tourments, leurs fragilités. Un noir et blanc en hommage à Cocteau et à la Nouvelle Vague à laquelle Philippe Garrel empreinte un style elliptique et un ton décalé qui nous embarque dans son au-delà surréaliste et contribue à cette intemporalité. Les amants ne s’envoient pas de textos ou d’emails mais des lettres. Amants d’aujourd’hui, d’hier, de demain : éternels. 

    Ce qui m’a charmée dans ce film qui a le mérite de ne ressembler à aucun autre de la compétition (et il faut l’avouer, la plupart des films brassent les mêmes thèmes, dans un style relativement similaire ) est probablement ce qui a agacé la majorité des festivaliers : son aspect littéraire (mais alors pourquoi glorifier Desplechin qui emploie , certes différemment, le même procédé ?), sa lenteur qui donne le temps au temps, le temps de s’imprégner de la mélancolie des personnages, son romantisme sans concessions, son aspect surréaliste et sa façon de saisir et juxtaposer des instants.

     « La frontière de l’aube » est vaguement inspiré d’une nouvelle de Théophile Gautier « Spirit » : un mythe romantique dans lequel les protagonistes se rejoignent dans la mort pour vivre dans l’éternité. Avec une poésie désenchantée, entre rêve et réalité, éternité et intemporalité, bonheur bourgeois et bonheur éternel, Philippe Garrel, réfutant tout cynisme, nous redonne le goût de ce que le cinéma d’aujourd’hui s’acharne à nier, par un excès de réalisme et de réalité,: celui de croire en des amours éternels dont la littérature s’arroge désormais l’exclusivité, et encore.

    Un film aux frontières de la réalité, de la folie, de la mort sur la passion dévastatrice. L’aube : une heure incertaine, velléitaire mais qui de toute façon donnera naissance au jour, à l’espoir tout comme cet amour fatal est porteur d’une beauté à la fois sombre et lumineuse .

    Philippe Garrel a également le mérite d’assumer : son titre nous plonge d'emblée dans son univers revendiqué, celui d’un conte poétique. Les contes de noël sont semble-t-il plus nobles, plus flatteurs pour ceux qui les apprécient. Oui, Desplechin flatte finalement le spectateur, par des références multiples et redondantes, lui donnant le sentiment (réel ou illusoire) de son intelligence, et lui donnant par sa dérision le sentiment, éloge semble-t-il suprême, de sa bonne cyniquitude (j'ai le droit d'utiliser des néologismes:-)), de son insensibilité à un romantisme forcément mièvre, dépassé, ridicule. Philippe Garrel nous prouve pourtant le contraire avec ce film intemporel.

    Un film sombre à la poésie lumineuse et enchanterresse qui mériterait de figurer au palmarès.

    Ci-dessus, la descente des marches de l'équipe de "La frontière de l'aube" de Philippe Garrel au rythme mélancolique des violons...

    3/Pour les spectateurs avertis et avec des réserves je recommanderais le film d'ouverture de la section Un Certain Regard 2008 intitulé "HUNGER" d'ALEXANDER MC QUEEN

    Projection à Paris Cinéma: le 11 juillet à 21H30 au MK2 Bibliothèque

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    L'équipe de "Hunger" saluée par "Thierry Frémaux", sur scène, à l'issue de la projection, photo "In the mood for Cannes"

    C’est avec des applaudissements d’impatience que la salle a accueilli Thierry Frémaux venu  pour ouvrir cette sélection Un Certain Regard 2008. Le festivalier n’aime pas attendre, toujours affamé de l’instant d’après, du film d’après, de l’émotion d’après qu’il ingurgitera et occultera déjà dans l’espoir de la suivante. Après s’être excusé d’avoir été retardé par un panda (à Cannes, nous avons pour principe de trouver l’incongru normal), un panda donc, après avoir salué la présence de Sergio Casttellito dans la salle (membre du jury longs-métrages), après avoir salué les membres du jury de la caméra d’or, avoir fait un clin d’œil aux Cahiers du Cinéma en évoquant les difficultés que connaît actuellement le journal (en saluant Jean-Michel Frodon, membre du jury de la Caméra d’or), le tout sans vraiment reprendre son souffle, après avoir ironisé sur le fait d’avoir Steve Mc Queen et Fassbinder pour ce 61ème festival (respectivement noms du réalisateur du film et d’un de ses interprètes principaux qui se nomme en réalité Fassbender),Thierry Frémaux a appelé sur scène le Steve Mc Queen en question venu présenter son premier film qui concourt ainsi pour la caméra d’or. A peine ce dernier avait-il eu le temps d’évoquer le "miroir du monde" que représente le cinéma que Thierry Frémaux a lancé la projection interrompant un discours réduit à une phrase.

    Après « Blindness » ce film "Hunger" en ouverture d’un Certain Regard,  en est à la fois l’écho et le contraire, donnant le ton  réaliste et politique, radical et sombre, carcéral même ( dans les deux cas des hommes se retrouvent face à l'inhumanité et dans un univers carcéral) de cette 61ème édition. C’’est en effet un film d’une radicalité éprouvante qui a été choisi pour faire l’ouverture d’Un Certain Regard mais avec aussi peu de didactisme que "Blindness" en faisait preuve avec excès, avec tellement de force de conviction que Blindness en était dépourvu .

    Pitch : Prison de Maze, Irlande du Nord, 1981. Raymond Lohan est surveillant, affecté au sinistre Quartier H où sont incarcérés les prisonniers politiques de l'IRA qui ont entamé le "Blanket and No-Wash Protest"   (une couverture pour seul vêtement et l’abandon de l’hygiène de base) pour témoigner leur colère. Détenus et gardiens y vivent un véritable enfer. Le jeune Davey Gillen vient d'être incarcéré. Il refuse catégoriquement de porter l'uniforme réglementaire car il ne se considère pas comme un criminel de droit commun. Rejoignant le mouvement du Blanket Protest, il partage une cellule répugnante avec Gerry Campbell, autre détenu politique, qui lui montre comment passer des articles en contrebande et communiquer avec le monde extérieur grâce au leader Bobby Sands qu'ils croisent lors de la messe dominicale. Lorsque la direction de la prison propose aux détenus des vêtements civils, une émeute éclate. Au cours des échauffourées, les prisonniers détruisent les cellules neuves où ils avaient été installés. La rébellion est matée dans le sang. La violence fait tache d'huile et plus aucun gardien de prison n 'est désormais en sécurité. Raymond Lohan est abattu d'une balle dans la tête. Bobby Sands s'entretient alors avec le père Dominic Moran. Il lui annonce qu'il s'apprête à entamer une nouvelle grève de la faim afin d'obtenir un statut à part pour les prisonniers politiques de l'IRA. La conversation s'enflamme. Malgré les objections du prêtre, qui s'interroge sur la finalité d'une telle initiative, Bobby est déterminé : la grève de la faim aura lieu ...

    Lors de la conférence de presse du jury Sean Penn a déclaré que « Quel que soit notre choix pour la palme d’or, il y a une chose sur laquelle nous sommes tous d’accord : nous devons être certains que le cinéaste concerné est tout à fait conscient du monde dans lequel il vit ». Si « Hunger » avait été dans la compétition que juge le jury présidé par Sean Penn nul doute qu’il se serait inscrit dans cette catégorie. Si quelques phrases nous présentent le contexte historique en préambule, « Hunger » a en effet une portée universelle et intemporelle, et une résonance tragiquement actuelle.

    C’est d’abord le silence qui nous frappe, la violence latente, contenue, sous-jacente annoncée par des mains blessées jusqu’au sang qu’un gardien lave aussi méthodiquement qu’il enlevait quelques miettes tombées sur ses genoux quelques instants auparavant. Le malaise est d’ores et déjà palpable puis Mc Queen nous plonge progressivement dans l’univers carcéral avec ces hommes au regard  hagard, traqué et fou de détermination.

    La violence est soulignée par des sons stridents qui alternent avec des silences assourdissants, des souffles entrecoupés. Les scènes de violence sur les prisonniers, frénétiques, bruyantes, alternent avec des plans immobiles encore plus violents que les premiers par l’écho cynique qu’ils en donnent alors.

     Si j’ai  aussi comparé "Hunger" avec « Blindness », c’est parce que les silences sont ici plus éloquents que la voix off si tonitruante dans « Blindness », c’est parce que tout est dit tout en ne disant rien, c’est parce que la violence, radicale, n’est jamais gratuite ou autrement là que pour servir le propos, nous montrer ses hommes asservis par leurs bourreaux et par eux-mêmes, guidés par un idéal plus fort que l’emprisonnement et la vie.

     Réaliste et onirique (une plume, un flocon de neige, un insecte témoignent du regard sensible du plasticien que Mc Queen est d’abord).  Bruyant et silencieux. Violent et idéaliste. Silencieux et si parlant. Mc Queen joue des contrastes avec un talent saisissant comme ces longs plans fixes qui augmentent encore l’impact du surgissement de la violence (et la crainte de ce surgissement), et l’impact du propos.

     Le temps me manque pour vous parler de ce film aux accents loachiens dans son propos et sa force de conviction mais singulier dans sa mise en forme, révélant  par le regard pourtant si humain du cinéaste une inhumanité glaciale et glaçante : celle de la répression impitoyable des prisonniers politiques que la froideur de la réalisation parsemée de moments d’onirisme souligne intelligemment.

     Au bout de ce long tunnel se trouve une lueur dans un regard d’enfant, la lumière du jour, un souffle qui s’éteint et un autre qui proclame sa rage de vivre, de se battre, qui valaient la peine d’endurer ce film (pour le spectateur) et ce combat pour ses protagonistes semble nous souffler Mc Queen.

    Il ne serait pas étonnant que la radicalité signifiante et l’âpreté de « Hunger »  plaisent au cinéaste Bruno Dumont, véritable écho à son propre cinéma.  A suivre lors de l'annonce du palmarès Un Certain Regard samedi de la semaine prochaine...

    4/Je vous recommande également le documentaire de François Depardon projeté à Un Certain Regard et ironiquement intitulé "LA VIE MODERNE" DE RAYMOND DEPARDON, un bijou d'humour, de véracité, et d'empathie

    Projection à Paris Cinéma: le 2 juillet à 20H au MK2 Bibliothèque

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    JE VOUS RECOMMANDE EGALEMENT:

    lieutenant.jpg5/ Je vous recommande également l'HOMMAGE A NATHALIE BAYE à l'occasion duquel seront projetés de nombreux nuit américaine.jpgfilms de cette dernière, au cinéma l'Arlequin, rue de Rennes. Cliquez ici pour avoir le programme. Je vous recommande notamment "La Balance" de Bob Swaim, "La nuit américaine" de François Truffaut, "Le petit lieutenant" de Xavier Beauvois... Un débat avec l'actrice animé par Jean-Pierre Lavoignat sera organisé à la BNF le 5 juillet à 17H et "Les Bureaux de Dieu" de Claire Simon seront projetés en avant-première à l'Arlequin le 5 juillet à 20H en présence de Nathalie Baye.

    6/Enfin je vous recommande "LA PISCINE" DE JACQUES DERAY, film projeté plusieurs fois dans le cadre de l'hommage à Jean-Claude Carrière

    Pour le reste, je vous recommande de faire votre propre programme à partir du site officiel du Festival Paris Cinéma.

    Autres liens: Paris Cinéma 2007 sur "In the mood for cinema"

    Paris Cinéma 2006 sur "In the mood for cinema"

  • « Valse avec Bashir » -Ari Folman : un documentaire d’animation d’une effroyable beauté

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    Alors qu’il y a quelques jours encore j’évoquais mon peu  d’appétence pour le cinéma d’animation, c’est en toute logique  que je vais vous faire part aujourd’hui de mon enthousiasme et de mon émotion pour…un film d’animation. Un film d’animation d’un genre très particulier néanmoins. En compétition lors du dernier festival de Cannes où il a fait figure de favori, il est reparti sans un prix mais avec un écho médiatique retentissant. C’est donc avec impatience que j’attendais sa sortie en salles l’ayant manqué à Cannes.

    18939633.jpgCela commence par la course d’une meute de chiens face caméra. L’image nous heurte de plein fouet : féroce, effrayante, belle et terrifiante. Une meute de chiens par laquelle, dans ses cauchemars, un ami d’Ari est poursuivi. 26 chiens exactement. Le nombre de chiens qu’il a tués durant la guerre du Liban, au début des années 1980, ce poste lui ayant été attribué parce qu’il était incapable de tuer des humains. Il raconte ce cauchemar récurrent à Ari mais ce dernier avoue n’avoir aucun souvenir de cette période, ne faire aucun cauchemar. Le lendemain, pour la première fois, 20 ans après,  un souvenir de cette période niée par sa mémoire surgit dans la conscience (ou l’inconscient) d’Ari : lui-même alors jeune soldat se baignant devant Beyrouth avec deux autres jeunes soldats sous un ciel lunaire en feu d’une beauté terrifiante. Il lui devient alors vital de connaître ce passé enfoui, ces pages d’Histoire et de son histoire englouties par sa mémoire. A cette fin,  il va aller à la rencontre de ses anciens compagnons d’armes, neuf personnes interrogées au total (dont deux ont refusé d’apparaître à l’écran sous leur véritable identité.) A l’issue de ces témoignages il va reconstituer le fil de son histoire et de l’Histoire et l’effroyable réalité que sa mémoire a préféré gommer…

    Un film d’animation d’un genre très particulier donc. D’abord parce qu’il est autobiographique : cette histoire, le troisième long-métrage du réalisateur (après « Sainte Clara » en 1996 et « Made in Israël » en 2001) est en effet celle du réalisateur israélien Ari Folman pour qui ce film a tenu lieu de thérapie. Ensuite parce que ce sont de vrais témoignages, poignants, et les voix de ces témoins donnent un aspect très documentaire à ce film hybride et atypique : d’abord tourné en vidéo, monté comme un film de 90 minutes, puis un story board en 2300 dessins ensuite animés, c’est un mélange d’animation Flash, d’animation classique et de 3D.  Ce mode filmique si particulier n’est nullement un gadget mais un parti pris artistique au service du propos auquel il apporte sa force et sa portée universelle. Un documentaire d’animation sur la guerre du Liban : oui, il fallait oser. Ari Folman s’affranchit des règles qui séparent  habituellement documentaire et fiction et dans ce sens, et aussi parce que ce film se déroule également au Liban, néanmoins à une autre époque, il m’a fait penser à l’un de mes coups de cœur du Festival de Cannes 2008 : « Je veux voir » de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige  que je vous recommande d’ores et déjà, sans la moindre réserve. ("Je veux voir" sera projeté au festival Paris Cinéma, le 8 juillet, voir ici)

    Dès ces premiers plans de chiens en furie, nous sommes donc happés, happés par la violence sublime des images, ces couleurs noirs et ocre diaboliquement envoûtantes, oniriques et cauchemardesques,  happés par une bande originale d’une force saisissante (signée Max Richter), happés par l’envie et la crainte de savoir, de comprendre, nous aussi, en empathie avec la quête identitaire d’Ari. C’est d’abord la beauté formelle et la poésie cruelle qui en émane qui accroche notre regard, notre attention. Cette beauté ensorcelante rend supportable l’insupportable, rend visible l’insoutenable, créant à la fois une distance salutaire avec la violence de ces témoignages et événements réels mais nous aidant aussi à nous immerger dans cette histoire. Si la violence est atténuée, l’émotion ne l’est pas. Ari Folman n’a pas non plus voulu rendre la guerre lyrique mais son lyrisme visuel exacerbe encore l’absurdité de cette guerre, de ces hommes égarés que la peur fait tirer, sans savoir sur qui, et sans savoir vraiment pourquoi.

    Peu à peu, au fil des témoignages, les pièces du puzzle de la mémoire disloquée d’Ari vont s’assembler jusqu’à l’atrocité ultime, celle qui a sans doute provoqué ce trou noir, celle volonté inconsciente d’oublier, de faire taire ses souvenirs de ces jours de 1982 : le massacre de Palestiniens par les Phalangistes chrétiens, les alliés d’Israël, suite à l’assassinat du président de la République libanaise Bashir Gemayel, dans les camps de Sabra et Shatila, deux camps de Beyrouth-ouest, dont il a été le témoin impuissant (il ne nie pas pour autant la responsabilité d’Israël, du moins son inaction coupable). Au dénouement de ce poème tragique, Ari Folman a alors choisi de substituer des images réelles aux images d’animation pour rappeler, sans doute, la réalité de la guerre, sa violence, son universelle absurdité, sa brutalité. Des images d’une violence nécessaire. Qui nous glacent le sang après tant de beauté d’une noirceur néanmoins sublime.

    18939624_w434_h_q80.jpg Plus qu’un film d’animation c’est à la fois un documentaire et une fiction sur la mémoire et ses méandres psychanalytiques et labyrinthiques, sur l’ironie tragique et les échos cyniques de l’Histoire, l’amnésie tragique de l’Histoire-collective- et de l’histoire-individuelle- (si Ari a effacé cette période de sa mémoire c’est aussi parce qu’elle est un écho pétrifiant à l’histoire tragique de sa famille, victime des camps nazis, ceux  d’une autre époque, un autre lieu mais avec la même violence et horreur absurdes, presque les mêmes images des décennies après, et horreur ultime : les protagonistes ayant  changé de rôle), sur l’absurdité de la guerre que ce film dénonce avec plus d’efficacité que n’importe quel discours. La poésie au lieu de nier ou d’édulcorer complètement la violence en augmente encore l’atrocité : comme ce chant d’une ironie dévastatrice sur le Liban pendant qu’un char écrase des maisons, des voitures, lentement, presque innocemment. Comme cette couleur rouge qui se mue d’un objet anodin en sang qui coule. Ou comme cette valse avec Bashir, celle d’un tireur qui danse avec les balles qu’il tire devant le portrait de Bashir Gemayel sur fond de Chopin, qui joue avec le feu, qui danse avec la mort  dans une valse d’une sensualité violente: cette scène résume toute la beauté effroyable de ce film magnifique. Tragique et magnifique. Cette valse est aussi à l’image de la forme de ce film : entraînante, captivante comme si une caméra dansante nous immergeait dans les méandres virevoltants de la mémoire d’Ari.

    Une œuvre atypique qui allie intelligemment forme et force du propos, où la forme, sublime, est au service du fond, brutal. Une valse étourdissante d’un esthétisme d’une effroyable beauté. Une valse fascinante, inventive. Entrez dans la danse, sans attendre une seconde. Elle vous entraînera dans cette histoire, dans l’Histoire, avec une force renversante, saisissante, poignante.

    Alors, oui sans doute le grand oublié du palmarès de ce 61ème Festival de Cannes (qui me satisfait néanmoins pleinement), tout simplement peut-être parce que cette œuvre tellement atypique qui invente même un nouveau genre cinématographique (dont elle sera d’ailleurs certainement le prototype et l’unique exemplaire tant une copie lui ferait certainement perdre sa force) ne correspondait à aucune des catégories du palmarès  à moins que le jury n’ait pas osé, n’ait pas eu la même audace que celle dont Ari Folman a fait preuve dans son film, une œuvre qui répondait d’ailleurs aux exigences du président Sean Penn  témoignant de la conscience du monde dans lequel son réalisateur vit, un monde si souvent absurde et amnésique, enfouissant son Histoire dans les tréfonds de sa mémoire tragiquement et criminellement sélective.

    Lien: site officiel du film

    Sandra.M